Femmes de nuit : Disparues des rues ou captivées ?

Elles faisaient partie du décor nocturne de Port-au-Prince. On les croisait au bas de Delmas, dans les rues du centre-ville, notamment des les environs du champ-de-mars, postées près des lampadaires ou assises sur les rebords des trottoirs. On les regardait souvent sans les voir. Aujourd’hui, même leur silhouette a disparu. Avec les vagues de violences armées et les déplacements massifs de population, les femmes de nuit ont disparu du bitume.

© EZEQUIEL SCAGNETTI / MAXPPP

Depuis l’intensification des affrontements entre groupes armés et l’effondrement progressif du contrôle de l’État, des quartiers de la capitale se sont vidés de leurs habitants. Plus d’un demi-million de personnes ont été déplacées, fuyant les violences, les incendies, les pillages, les assassinats.

Dans ce chaos, un silence pèse sur une catégorie de femmes souvent ignorée dans les discours humanitaires : les travailleuses du sexe. Leur disparition n’a pas fait la une des journaux. Pourtant, elles aussi ont été déplacées. Elles aussi ont été victimes. Elles aussi ont été prises au piège. Quelques-unes ont été aperçues dans certaines rues de Pétion-Ville. Mais elles ne sont plus aussi nombreuses. Et leur présence semble plus clandestine que jamais.

Selon plusieurs témoignages recueillis sur le terrain, une partie d’entre elles se serait réfugiée dans des camps des déplacés ou chez des proches en province. Mais un autre scénario, bien plus sombre, se dessine dans l’ombre. Beaucoup de ces femmes seraient désormais dans les bases des chefs de gangs, retenues de force ou maintenues dans une forme de dépendance brutale. Elles ne sont plus simplement des femmes de la rue. Elles sont devenues, dans certains cas, des captives.

Certaines de ces femmes seraient utilisées comme monnaie d’échange, ou tenues de « servir » les groupes armés en échange d’un toit, d’un repas, d’une protection illusoire. D’autres vivent sous la menace, sans la moindre autonomie, réduites au silence par la peur. Il ne s’agit plus ici de marginalisation, mais de disparition sociale. Elles sont sorties de l’espace public, effacées de la mémoire collective, avalées par la violence d’un système sans foi ni loi.

Qui en parle ? Où sont les voix institutionnelles, les défenseurs des droits humains, les organisations de femmes ? Trop souvent, ces femmes sont considérées comme « à part », comme si leur sort était moins urgent, moins tragique, moins digne d’attention. Et pourtant, elles sont des femmes.Des citoyennes. Des humaines. Des victimes d’une violence systémique, comme tant d’autres.

Le silence social et institutionnel qui entoure leur disparition est une forme de complicité. Ignorer leur sort, c’est les condamner deux fois. Parler des femmes de nuit aujourd’hui, c’est refuser d’abandonner les plus vulnérables au fond du gouffre. C’est affirmer que toute vie humaine compte, même celles qu’on juge trop marginales pour figurer dans les statistiques. Ce n’est pas défendre un métier, c’est défendre une dignité. Ce n’est pas excuser une réalité, c’est la regarder en face.

Elles ont quitté les trottoirs, mais elles n’ont pas quitté la peur. Elles ne sont plus visibles, mais elles sont toujours là, quelque part, en attente d’un regard, d’un secours, d’une société qui accepte enfin de les voir autrement que comme une ombre dans la nuit.

FHM

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