Donald Trump, annonceur d’un Apartheid Américain 2.0 ?

La ségrégation raciale aux États-Unis est une cicatrice profonde dans l’histoire du pays, enracinée dans des siècles d’esclavage et de politiques discriminatoires. Dès le XVIIe siècle, avec l’essor des colonies britanniques en Amérique du Nord, l’économie de plantation a systématisé la division entre esclaves africains et colons européens, posant les bases d’une société racialement hiérarchisée.

En 1865, la fin de la guerre de Sécession et l’adoption du 13e amendement ont aboli l’esclavage, suivies par le 14e amendement (1868), qui garantit la citoyenneté et l’égalité devant la loi, et le 15e amendement (1870), qui protège le droit de vote sans distinction de race. Pourtant, ces avancées constitutionnelles n’ont pas empêché l’émergence d’un système de ségrégation institutionnalisée.

Après la période de Reconstruction (1865-1877), les États du Sud, anciens bastions confédérés, ont instauré les lois Jim Crow, un ensemble de mesures légales imposant une séparation stricte entre Blancs et Noirs dans les écoles, les transports, les lieux publics et même les cimetières. En 1896, l’arrêt Plessy contre Ferguson de la Cour suprême a légitimé cette ségrégation sous la doctrine « séparés mais égaux », entérinant une inégalité de facto : les installations réservées aux Noirs étaient systématiquement inférieures. Cette période, connue sous le nom de « Nadir des relations raciales », a vu la prolifération de violences racistes, notamment via le Ku Klux Klan, et l’exclusion politique des Afro-Américains par des subterfuges comme les taxes électorales et les tests d’alphabétisation.

Le vent du changement a commencé à souffler après la Seconde Guerre mondiale, porté par une mobilisation croissante des Afro-Américains et des décisions judiciaires progressistes. En 1954, l’arrêt Brown contre Board of Education a déclaré la ségrégation scolaire inconstitutionnelle, renversant Plessy et marquant le début du mouvement des droits civiques. Ce mouvement, incarné par des figures comme Martin Luther King Jr. et Rosa Parks, a culminé avec le Civil Rights Act de 1964, qui a aboli la ségrégation dans les lieux publics, et le Voting Rights Act de 1965, qui a sécurisé le droit de vote. Malgré ces victoires, les inégalités raciales persistent sous des formes plus insidieuses, comme la ségrégation résidentielle ou les disparités économiques.

Un retour en arrière symbolique ?

Le 15 février 2025, l’administration Trump, via la General Services Administration (GSA) a publié une note supprimant des Federal Acquisition Regulations (FAR) la clause interdisant les « installations séparées » (Prohibition of Segregated Facilities, FAR 52.222-21) dans les nouveaux contrats fédéraux. Cette décision découle du décret exécutif du 21 janvier 2025, intitulé Ending Illegal Discrimination and Restoring Merit-Based Opportunity, qui a également révoqué l’Executive Order 11246 de 1965. Cet ordre, promulgué par le 36e président américain, Lyndon B. Johnson, imposait aux entrepreneurs fédéraux de garantir l’égalité des chances et d’interdire toute ségrégation dans leurs installations – salles d’attente, restaurants, toilettes, fontaines à eau, etc.

Sur le plan juridique, cette suppression ne légalise pas la ségrégation. Le Civil Rights Act de 1964 et d’autres lois fédérales continuent d’interdire la discrimination raciale dans les lieux publics et privés soumis à ces réglementations. La GSA se défend en soulignant que cette clause était redondante face aux protections existantes, arguant qu’elle constituait un fardeau administratif inutile pour les entrepreneurs. En pratique, il est peu probable que des entreprises réintroduisent des installations séparées, ne serait-ce que pour des raisons économiques et sociales : une telle démarche serait coûteuse, impopulaire et exposerait à des poursuites sous d’autres lois.

Cependant, cette décision soulève des questions sur son impact réel. Elle concerne uniquement les nouveaux contrats fédéraux, laissant intactes les obligations des contrats existants. De plus, la ségrégation explicite étant déjà illégale, l’effet immédiat semble limité à une simplification bureaucratique. Mais c’est précisément cette apparente neutralité qui alimente le débat : pourquoi supprimer une clause symbolique si elle ne change rien dans les faits ?

Une charge symbolique explosive

C’est sur le terrain symbolique que cette mesure résonne le plus fort. La clause sur les installations séparées était un héritage direct de la lutte contre les lois Jim Crow, un rappel tangible des efforts pour démanteler la ségrégation institutionnelle. Sa suppression, même si elle n’entraîne pas un retour à des pratiques d’un autre âge, peut être perçue comme un signal implicite. Dans un pays où les tensions raciales restent vives – envenimées par des incidents comme les violences policières ou les débats sur la réforme électorale –, cette décision ravive les fantômes d’un passé ségrégationniste.

L’administration Trump a justifié ce décret par une rhétorique anti-DEI (diversité, équité, inclusion), affirmant que ces politiques favorisent une « discrimination inversée » contre les groupes majoritaires. Cette vision s’inscrit dans une logique plus large de retour à un « mérite » prétendument neutre, mais elle ignore le contexte historique : la clause supprimée visait à corriger des inégalités structurelles, pas à imposer des quotas. En parallèle, des critiques pointent du doigt l’influence de figures comme Elon Musk, dont les prises de position sur les réseaux sociaux ont souvent amplifié des récits conservateurs sur la race et la discrimination.

Les réactions sont polarisées. Les défenseurs des droits civiques, comme la NAACP, dénoncent un recul dangereux, craignant que cette mesure n’encourage des interprétations laxistes des lois anti-discrimination par des acteurs privés. À l’inverse, certains conservateurs saluent une “libération” des entreprises face à des régulations jugées obsolètes. Sur X, des utilisateurs oscillent entre indignation (un pas vers Jim Crow 2.0) et approbation (enfin du bon sens), ce qui reflète parfaitement la fracture idéologique américaine.

À plus long terme, cette décision pourrait affaiblir la portée symbolique des engagements fédéraux envers l’égalité, même si son effet pratique reste contenu. Elle s’inscrit dans un climat où les avancées des droits civiques sont remises en question, que ce soit par des restrictions électorales dans certains États ou par des débats sur l’enseignement de l’histoire raciale. Si elle ne restaure pas l’apartheid américain, elle risque de normaliser un discours qui minimise les inégalités historiques.

L’histoire de la ségrégation aux États-Unis est celle d’une lutte acharnée pour l’égalité, ponctuée de victoires juridiques et de résistances tenaces. Cette décision de la GSA, bien que techniquement limitée, s’ajoute à ce récit comme un chapitre ambigu. Elle ne ramène pas les fontaines à eau séparées, mais elle érode un symbole de progrès dans un pays où les blessures raciales ne sont jamais pleinement cicatrisées. Reste à voir si ce geste restera une note de bas de page administrative ou s’il préfigure une révision plus profonde des acquis des droits civiques. Une chose est sûre : l’histoire, comme la mémoire collective, ne pardonne pas l’oubli.

6 Comments

  1. A côté de ce majestueux travail, je crois avoir entendu qu’il est question d’accorder la grâce présidentielle au policier qui a assassiné Georges Floyd.

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